Monthly Archive:: juillet 2014

L’enseignement le plus clair de la publication des déclarations d’intérêts des élus est que l’intérêt pour la chose publique est un psychotrope extrêmement puissant.

Si l’on vous propose d’abandonner un emploi bancaire stable rémunéré à hauteur de 490.000€  pour un mandat de député par nature précaire payé 50.000€ l’an que répondez-vous ?   »Non merci », si vous avez deux sous de bon sens.

Ce scénario est une fantaisie, une pure fable, direz -vous ? Pourtant, c’est le conte de fée qui est arrivé à Mme Valérie Rabault diplômée des Ponts et Chaussées, député du Tarn et Garonne, élue rapporteur général du budget* en  avril 2014, et depuis juin 2012 vice présidente de la Commission des finances, qui a abandonné son emploi à la BNP de responsable des risques de marché pour ses missions non rémunérées mais stratégiques au Palais Bourbon.

Il faut comprendre que pour un 5000, les hautes responsabilités parlementaires valent plus de dix fois l’indemnité de mandat, si ce n’est pendant celui-ci, en tout cas à la sortie où les dividendes se perçoivent au centuple dans l’économie privée.

Bien entendu, on ne peut négliger l’attrait que représente l’amour désintéressé du bien public… Non, on ne peut pas.

* Au sein de l’Assemblée Nationale, le rapporteur général du budget, est un député élu parmi les membres de la commission des finances dont le rôle est de présenter aux députés les lois de finances et d’assurer la liaison entre le Gouvernement et l’Assemblée, en expliquant les dispositions de ces lois, en proposant des améliorations tout en facilitant la discussion et le vote.

L’incapacité de la France à s’adapter aux mutations qu’exige la mondialisation a pris une telle profondeur que même certains membres de l’hyper-élite se rendent à l’évidence et sortent de leur attitude de déni de réalité. 

Ainsi, dans son ouvrage La France au défi, l’énarque Conseiller d’Etat, Hubert Védrine décrit un « pays irréformable« , et il tente d’aller au delà du constat de l’état de la catastrophe. Il pointe un problème psychologique, et s’il ne se revendiquait de gauche il écrirait « sinistrose« , mais il ne s’agit là que d’un symptôme. Il convient de « l’arrogance des élites« . Mais là encore, il ne fait que peindre l’exception française sans en dévoiler les causes.

La solution proposée est une sorte d’ersatz de l’union nationale limitée à quelques réformes essentielles. Le problème est que les prétendues mesures de bon sens sont, soit sans pertinence quant aux vices de fond de la société, soit non opérationnelles car rejetées par ceux qui auraient à les mettre en œuvre.

La lucidité de l’ancien Ministre des affaires étrangères sur l’état des lieux fait une place minuscule à la responsabilité de l’élite à laquelle il appartient. Néanmoins pour un 5000, l’effort est exemplaire et mérite d’être souligné.

 “Tous responsables, mais certains plus que d’autres“, conclut le journaliste Philippe Plassard dans un article publié le 22 juillet 2014 sur le site du Point. Il admet que la gauche et la droite ne sont pas exemptes d’erreurs, mais pour lui aussi les responsabilités sont diffuses.

Jusqu’ici, seul Simplicius Aiguillon a situé l’origine du mal français dans sa véritable cause. Celle-ci n’est pas une incapacité congénitale des Français à affronter les grands défis, elle réside dans la formatisation de son hyper-élite, ces 5000 qui prennent les grandes décisions sans savoir où ils nous mènent, qui statuent sur le bien penser et la mal pensance en vertu de critères du 19ème siècle, qui prennent le pouvoir grâce à leurs réseaux plus qu’à leurs compétences devenues obsolètes, et qui n’ont aucune vision d’avenir autre que le maintien de leurs avantages acquis alors que de nos jours rien n’est jamais acquis.

Hubert Vedrine est un 5000 de bonne foi, mais il lui reste un très grand chemin à parcourir pour admettre que la cause des malheurs actuels de la France est son hyper-élite, et que la réforme la plus urgente est celle de ce petit groupe de responsables qui refusent leurs responsabilités.

Pour réformer l’élite, il n’existe que deux voies : la première est de supprimer ses privilèges, la seconde est d’en former une nouvelle. Dans ces deux tâches le rôle de l’Etat, qui se mêle par ailleurs de tout ce qui ne le regarde pas, est essentiel. Retrouver l’égalité de tous devant la loi, dont l’égalitarisme est une grimace trompeuse, est un devoir de la puissance publique, et le contrôle du citoyen doit se montrer intraitable à cet égard, en exigeant la transparence en tous domaines de ceux qui décident pour lui. La responsabilité majeure de l’Etat est l’éducation, certes pour le plus grand nombre, mais aussi en formant à l’excellence de nouvelles élites pour qui le monde moderne des échanges et de l’information ne sera plus un mystère hostile, mais une réelle opportunité.

Le Jabberwokcy est un personnage improbable  qui naît dans une langue composite inventée par Lewis Caroll dans l’univers du Pays des Merveilles d’Alice.

Le monde politique français possède son personnage poétique déroutant et baroque, il a nom Arnaud Montebourg. Son physique de play-boy lui permet de surfer d’échec en échec sans coup férir. D’Arcelor, à Alstom, de la nationalisation à tout crin à une dérégulation furieuse que la Dame de fer Thatcher n’aurait jamais rêvée, il bondit, et rebondit.

Très tôt, le jeune Arnaud a compris qu’une carrière politique passe par l’ENA. Hélas, il ne parvient pas à intégrer ce haut lieu où l’on stérilise l’intelligence française en lui inculquant des fariboles ringardes inutiles dans le monde  d’aujourd’hui, mais où l’on se constitue un réseau d’une efficacité sans pareille pour s’emparer des postes de l’Etat les plus enviés. À cet égard, le barreau, auberge espagnole où l’on ne mange que ce que l’on y apporte, ne sert à rien, mais il est ouvert à tous. Avocat sera sa carte de visite.

Défendre la veuve et l’orphelin ne passionne pas Maître Montebourg, son regard se porte plus haut. Tout en haut, la Présidence de la République est l’objectif obsessionnel de sa vie. Il ne se voit pas parmi les meilleurs mais le meilleur. Le style aristocratique d’Arnaud Montebourg qui conduit plus d’un à lui donner du « de Montebourg », revient à sa branche maternelle. Son illustre aïeul, Ahmed Ould Cadi, agha de Frendah (Oran), qui combattit aux côtés de l’armée française lors de la conquête de l’Algérie, fut fait chevalier de la Légion d’honneur en 1842, officier en 1852, commandeur en 1860, puis grand officier dans cet ordre.

L’affaire du Carrefour du développement où 27 millions de francs se sont évaporés est un des premiers scandales financiers de la Mitterrandie. Dans ce procès où le premier plan est occupé par Christian Nucci (amnistié en 1990), le jeune Montebourg défend la présidente de l’association. Introduit dans les méandres des approximation financières du monde politique par les écarts socialistes, il retourne le glaive contre la droite. Sa cible sera désormais le Président de la République.

Le weekend du 31 mai/1er juin 1997 sera pour Arnaud Montebourg décisif : le samedi il épouse Hortense de Labriffe, fille du comte du même nom et le dimanche il est élu député de Saône et Loire.  Mais, les réseaux provinciaux ne sont rien à Paris, il faut pour exister dans le microcosme pénétrer le monde des médias. En 2010, il noue un concubinage avec une journaliste politique de premier plan. Et voici 2011, la primaire socialiste pour la candidature aux présidentielles lui offre l’occasion de se positionner sur ses ambitions finales.

Côté programme, Montebourg ose tout, la mondialisation est un fait, il milite pour la démondialisation. La réalité n’est pas sa tasse de thé. Il est à l’aise dans l’imprécation. L’injure lui vient plus rapidement à la bouche que la pensée. Son score qui le place en troisième position avec 17,19 % des voix, le rend incontournable. Ministre, il se démultiplie, et fait de la gaffe un art majeur. À dire tout et son contraire on devient insaisissable, et l’on a réponse à tout. Une seule règle occuper le terrain, exister.

Un destin hors norme que celui de Monsieur Montebourg. Jusqu’où montera-t-il ?  Peut-être au sommet de l’Etat, ou peut-être à la disgrâce comme l’écureuil emblème de Fouquet surintendant des finances dont la munificence irrita si fort Louis XIV et dont la devise était « quo non ascendam« , jusqu’où ne monterais-je pas ? A gauche, en effet, on s’y entend à merveille pour couper les têtes qui dépassent.

« Prends garde au Jabbewocky », conseille Lewis Caroll.

Interrogé sur l’incidence de la complexité du droit du travail dans les obstacles à l’embauche, le Maître de Bercy rétorque avec le large sourire qu’on lui connaît : « Le code du travail est trop lourd ? « Il n’y a qu’à le rédiger en petits caractères, il sera moins gros ». »

On refuse d’y croire, et pourtant le fait est là dans toute son obscénité. La réplique de Michel Sapin, membre indubitable de l’élite de France, est traitée par l’Opinion (le périodique) comme un accident de communication. Hélas, cette sortie de route n’est pas un fait isolé, et elle révèle un gouffre vertigineux entre l’arrogance des 5000 et la réalité.

« Le bon mot de Michel Sapin a raté son objectif » surenchérit Arnaud Montebourg. Quel objectif ? Celui de démontrer que le chômage est un sujet de plaisanterie ?

L’attitude ironisante est un réflexe inconditionnel, non seulement d’une certaine gauche face aux critiques qu’elle juge marquées du sceau de l’infamie libérale, mais encore de la quasi totalité de l’intelligentsia française nourrie au lait maternel d’un dogme qui veut que tout salarié soit un prolétaire livré aux appétits furieux et gloutons d’un patronat cynique. Toute entrave à la liberté du chef d’entreprise est ainsi par nature une protection du salarié. L’idée saugrenue que le travailleur puisse être victime à rebours de cette armure de plomb est iconoclaste, et suscite la condescendance, voire l’indignation. Hors de question donc de faire l’inventaire et le partage entre les bonnes et les mauvaises contraintes.

« S’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche », lance la Reine de France à l’adresse des mécontents qui secouent les grilles de la monarchie. Quand Michel Sapin, à peine sorti de son Ministère du Travail pour entrer dans celui des Finances, met au mauvais goût du jour la malencontreuse plaisanterie  de Marie-Antoinette, dans un contexte où il se montre impuissant à endiguer le nombre des chômeurs qui augmente chaque mois, son humour indécent empeste une fin de règne où le déni du réel se drape dans une élégance de forme… En l’espèce assez piteuse.

A la vacuité de l’argumentation économique, le Ministre allie un mépris profond des gens privés d’emploi, donc d’utilité sociale, mais à ses yeux bien mal venus de se plaindre puisque l’Etat leur dispense larga manu de confortables indemnités prélevées sur les masses qui travaillent encore au nom d’une solidarité mal répartie dont l’échec économique a créé la raison d’être. Au moins, l’épouse écervelée de Louis XVI n’était-elle pas la responsable directe des misères du peuple de France.